M. Philippe Ramelet, Président de la Fédération patronale vaudoise, a ouvert ce Forum, cuvée 2005, en soulignant le besoin de cohésion entre les différents acteurs de l’économie. L’intérêt du choix de ce thème réside dans cette préoccupation constante : préparer la relève. Un cri d’alarme est lancé concernant la crise de l’apprentissage dual et, en amont, la mission et le style d’école qui doit aujourd’hui former les professionnels de demain. Il ne faut en aucun cas décourager les professeurs et les maîtres d’apprentissage par une structure inappropriée ainsi qu’une bureaucratie étouffante.
Mme Jacqueline Maurer-Mayor, Conseillère d’Etat, Cheffe du Département de l’économie, se demande alors comment aborder le futur ? Avec une tête bien pleine ou bien faite ? L’élite de demain doit avant tout avoir de bons outils. Au-delà, l’expérience personnelle de chacun servira à privilégier la voie universitaire ou la voie de la formation professionnelle. Des exigences doivent être posées, par les associations professionnelles en particulier, mais le pragmatisme prend toujours l’ascendant. Mme Maurer cite l’exemple des patrons des deux plus grandes banques suisses qui ont gravi tous les échelons en partant d’un CFC. Tout doit être activé pour que la filière de l’apprentissage garde sa place. La Suisse, pays pauvre au XIXeme siècle est devenue un pays riche grâce au sens de l’intérêt commun et de l’engagement du plus grand nombre. Force est pourtant de constater que ce dernier baisse. Il est par conséquent du devoir de chacun de remettre l’ouvrage sur le métier et que, dans un climat de compétition, le travail acharné et la discipline soient dans l’esprit de tous. Le Conseil d’Etat défend trois grandes valeurs : le goût de l’effort, de la méthode et de la discipline ; le budget 2006 en est un exemple parlant. Mais encore faut-il, pour citer M. Ramelet, qu’il y ait de la cohésion entre les acteurs, autant entre les hommes et les femmes de ce canton qu’au niveau des collaborations intercantonales. Ainsi seulement le petit ruisseau deviendra une grande rivière.
Mme Romaine Jean, journaliste à la TSR et animatrice du Forum lance le débat en s’inquiétant d’une école qui forme des cancres, du nombre de jeunes sans emploi et d’apprentis qui ne savent ni lire ni écrire. C’est une situation paradoxale puisque le système suisse a toujours été réputé exemplaire. Quelles sont les pistes pour endiguer ces problèmes ?
Un retour historique aux trois conceptions de l’école : l’éducation ancienne, moderne et post-moderne explique les raisons d’un échec de l’école. Face à l’exigence de formation toujours plus pointue de l’économie, il a fallu entamer des réformes de l’école. Pour changer l’école, M. Romain s’élève contre les huit commandements du pédagogiquement correct : 1) Il est communément admis que le niveau monte. La réalité démontre au contraire qu’il est en baisse dans les domaines les plus importants. 2) L’élève doit construire lui-même son savoir et chercher ce qui lui manque. Cela ne fonctionne que pour quinze pour cent des élèves. Cette méthode, le socioconstructivisme ne fonctionne pas pour la majorité d’entre eux. Ceux-ci ont bien plutôt besoin de méthodes et de moyens de contrôle plus scolaires. 3) Il faut découvrir ludiquement soi-même les contenus pour apprendre vraiment. Il est dangereux d’admettre que l’enfant peut tout acquérir par le biais du jeu, sans effort. D’autres formes d’apprentissage, moins ludiques et plus efficaces, doivent également être utilisées, suffisamment tôt. 4) L’école, lieu de vie. Un maître transmet du savoir ; ce n’est pas cela la vie. Le propre du professeur doit être d’opposer au lieu de vie un autre lieu qui est la mise en place d’un savoir. Venir à l’école, c’est par conséquent prendre le risque de s’arracher à sa vie quotidienne. 5) La transversalité. L’homme actuel doit mélanger plusieurs savoirs. Or, l’enfant doit d’abord avancer pas à pas et maîtriser préalablement chacun des domaines. 6) Apprendre à apprendre. L’élève n’a pas besoin d’apprendre à apprendre. Il lui suffit d’apprendre, et ce serait déjà un progrès. 7) Sélectionner, c’est exclure. Même si l’école a cessé de croire en la méritocratie, il subsiste des mécanismes complexes d’élimination. 8) Valoriser le savoir-être. Il faut mettre les élèves devant quelque chose qui les dépasse (par exemple les mathématiques) ; cela leur apportera le sens du respect et celui de sa propre place dans la société. M. Romain propose alors trois axes pour refaire l’école : premièrement, aller du simple au complexe en utilisant des méthodes pédagogiques qui fonctionnent pour la plus grande partie des élèves ; ensuite, miser sur le contenu en axant les programmes sur les savoirs de bases et ne pas tout faire à l’école et, troisièmement, apprendre à lire, écrire et compter. Il est indispensable de maîtriser ces connaissances élémentaires. «Recommençons à faire l’école !».
M. Aparicio est l’exemple d’une success story, celle de l’apprenti qui devient le patron de l’entreprise qui l’emploie. Mais pour qu’une entreprise comme Tesa SA ait pu survivre et se développer, il a fallu compter sur la qualité des ressources humaines. La concurrence asiatique a fait ressortir un certain nombre d’handicaps pénalisant en Suisse comme un niveau des salaires et des charges sociales élevé ainsi que la cherté du franc suisse. Tesa SA a alors adopté une stratégie d’innovation en misant sur le «Swiss Made». L’un des piliers de cette innovation réside dans les compétences des ressources humaines. Les besoins en personnel s’articulent autour des seniors, des spécialistes et des jeunes : les seniors bénéficient d’expériences accumulées et font montre d’une fierté du travail bien fait. Ils font également preuve d’une grande flexibilité. Les spécialistes sont indispensables pour les types de produits commercialisés par cette société. Une campagne de recrutement a montré qu’il y a, en suisse, un potentiel important de personnes qualifiées. Les jeunes représentent le futur de Tesa SA ; ils sont les spécialistes puis les seniors de demain. Ainsi, une formation rigoureuse, adaptée aux nouvelles technologies doit leur être offerte, dans l’optique de trouver l’emploi pour lequel ils ont été formés. Pour conclure, M. Aparicio a émis le souhait que le monde de la formation se rapproche davantage encore de celui du travail et qu’il y ait une intensification des échanges entre les entreprises et les écoles.
L’apprentissage en Suisse doit être valorisé. Il convient aussi de relativiser les résultats des études menées sur l’école vis-à-vis du système adopté. La Suisse dispose de deux filières de formation : – une formation théorique, l’Université ; – une formation pratique, l’apprentissage. Ces filières impliquent les associations professionnelles, en vue de répondre aux attentes des PME. M. Gardel fait le point sur le secteur de la construction, dans lequel le nombre de places offertes est supérieur aux nombre de places enregistrées ! Certains secteurs n’intéressent malheureusement plus les nouvelles générations d’apprentis, quand bien même le nombre d’entrées en apprentissage augmente chaque année. En termes de coûts et bénéfices pour une entreprise, M. Gardel montre, exemple chiffré à l’appui, que l’entreprise formatrice est souvent bénéficiaire. La Fédération vaudoise des entrepreneurs s’emploie à le faire savoir. Ses missions ont pour principaux objectifs de soutenir et conseiller les maîtres d’apprentissage, de former la relève et de développer la formation continue des cadres. Pour ce faire, les projets ne manquent pas : une stratégie de communication devra permettre d’actualiser l’image des professions du bâtiment. M. Gardel pense également à la mise en réseau des compétences (théories et pratiques), à la concentration des cours sur 3 à 6 mois durant les deux premières années (le rendement pédagogique actuel n’est pas suffisant; cela permettrait de favoriser des rythmes hebdomadaires complets et simplifierait l’organisation des entreprises) et à la valorisation des compétences pour continuer à être «les champions du monde des métiers».
La formation professionnelle est-elle un atout pour la Suisse, et pourquoi ? Selon Mme Miauton, elle favorise la cohésion sociale dans un monde qui est en train de la perdre; elle permet l’intégration des jeunes ainsi que l’apprentissage de la responsabilité individuelle ; elle assure la relève des entreprises artisanales de famille et tend à maintenir un secteur secondaire dans une société qui se tertiarise ; de plus, elle impose une responsabilité sociale aux entreprises. Pourquoi valoriser la formation professionnelle ? Elle subit une discrimination sociale qui commence déjà avant de l’avoir choisie, au profit de la voie académique. Elle tend à devenir toujours moins duale parce que l’on cherche à l’académiser. Les entreprises jouent également mal leur rôle, par méconnaissance du système. La stagnation économique explique aussi que certaines entreprises ne puissent prendre des apprentis. Le manque d’encouragement aux entreprises formatrices rajoute aux raisons de revaloriser absolument la formation professionnelle, mais comment ? Celle-ci n’est médiatisée que sous l’angle des places d’apprentissage, en mettant en exergue une pénurie de places alors qu’au contraire le nombre de places augmente. Il faut entamer des actions pour contrer les préjugés. Mme Miauton préconise de ne pas forcément séparer les étudiants (contre une «ghettoïsation» des étudiants face aux apprentis) pour atténuer les injustices, d’imposer des règles à l’administration dans les offres d’emploi, de frotter les enseignants au monde professionnel et de valoriser les porteurs de CFC (avec une campagne testimoniale). Mme Miauton insiste sur le maintien de la voie duale. Pour ce faire, la scolarité ne devrait pas être prolongée inutilement, une sélection plus sévère devrait se faire à l’université, un quota de conseillers en orientation issus de la voie duale devrait être imposé et les AMP (approche du monde professionnel) devraient être généralisées. Une modernisation de l’image des métiers s’impose également. L’économie suisse, qui ne pourra survivre que par l’excellence, a besoin de personnel qualifié et performant, et ce à tous les postes. Pour ranimer la flamme de l’économie, Mme Miauton, estime qu’il faut renforcer l’intérêt des associations pour la formation professionnelle mais également lutter contre des règlements et tracasseries administratives qui en entravent la bonne marche. Toutes ces actions sont réalistes, ne coûtent rien et sont faciles à mettre en place. Mme Miauton ponctue en citant Elsa Triolet : «J’ai appris que pour être prophète il suffisait d’être pessimiste». A nous de la faire mentir !
Avec un parcours atypique, M. Guignard est l’exemple d’un «cancre devenu patron par passion». A la question si un jeune d’aujourd’hui pourrait suivre le même parcours ?, l’entrepreneur d’Orbe répond par l’affirmative. Il ne faut pas sortir d’un moule mais exploiter des voies, quelles qu’elles soient. M. Guignard admet tout de même qu’au vu de la situation actuelle, les jeunes doivent suivre des formations poussées ; il en est de la responsabilité des parents de leur offrir la meilleure formation. Teinté d’un optimisme qui fait trop souvent défaut, le discours de M. Guignard se veut positif et constructif. L’envie et la passion sont à la base de toute réussite, peu importe que l’on soit bardé de diplômes ou pas. Des sources de motivations peuvent renforcer l’envie comme par exemple d’avoir des modèles ou d’avoir de bons enseignants. S’il y a la passion, le travail et l’acharnement suivront, naturellement. Les parents, malgré l’éclatement des familles, ne doivent pas démissionner mais au contraire favoriser l’épanouissement de leurs enfants. Outre l’éducation de base, l’école doit aussi inculquer les valeurs de la vie. Nos élèves ne connaissant plus les notions du bon sens, de la logique et du goût de l’effort. Les échecs doivent être vécus comme des expériences, des paliers permettant d’avancer et non comme une source de craintes. M. Guignard revient sur des modèles qu’il faudrait davantage mettre en valeur comme Roger Federer par exemple. Le canton de Vaud possède une richesse de personnes que l’on n’utilise pas assez.